Les éditions Timelapse publient des romans d’imaginaire qui jouent sur les perceptions du lectorat.
Cette formule aux contours mouvants, c’est précisément la recette de la maison Timelapse : imaginer une forme éditoriale suffisamment souple pour soutenir les fictions classiques ou inclassables, modèles d’un genre ou formes inédites. Nous l’avons conçue comme un lieu d’expérimentations, où l’expérience littéraire est aussi précieuse que l’expérience du travail collectif.
Nous pensons qu’une maison d’édition soucieuse du contenu des livres qu’elle publie doit l’être tout autant des conditions de travail de ses autrices, de ses auteurs et de toutes celles et ceux qui œuvrent à la publication d’un ouvrage. Ainsi, nous croyons qu’il est bénéfique de voir se développer des maisons d’édition alternatives qui interrogent nos pratiques professionnelles : c’est pourquoi nous avons construit collégialement et lentement une pratique éditoriale que nous appelons « slow édition ».
« On fait toujours assez vite ce que l’on fait assez bien »
Suétone, Vie d’Auguste, XXV,6. « Sat celeriter fieri qudquid fiat satis bene »
Respecter le rythme de chacun et de chacune, accompagner les auteurs ou les autrices, à chaque étape de la création, peaufiner les textes, discuter leur propos, penser la fabrication d’un ouvrage, physique ou numérique, de l’illustration élaborée aux modalités d’impression et de diffusion, créer un lien avec les libraires, privilégier la qualité plutôt que la quantité : la slow édition, c’est un ensemble de pratiques, discutées et coordonnées, qui nous permettront de mettre en lumière des fictions crées dans le respect des individus et de leur travail.
Nous portons donc une attention particulière aux messages véhiculés par nos œuvres, sans exclure pour autant ce qui fait le sel du propos de nos auteurs et de nos autrices, sans oublier par ailleurs que nous publions de la fiction et non des essais politiques ; les formes langagières inédites et les choix esthétiques et génériques serviront des idées fortes, qu’elles soient plaisantes ou, de prime abord, repoussantes, ces expériences littéraires conduiront le lectorat à voir dans la fiction le reflet d’une réalité que l’on interroge.
Ainsi, le ravissement du conte oriental, la violence de l’univers cyber-punk ou la réflexion éthique d’un space opera tourné vers la science(-fiction) trouveront leur place dans une constellation de romans qui ne dit qu’une chose : créer l’imaginaire de demain, c’est d’abord imaginer les conditions matérielles de cet acte de création aujourd’hui.
De la multiplicité des expériences éditoriales
Nous n’avons pas trouvé la formule magique palliant l’ensemble des problèmes que posent les pratiques éditoriales à ce jour ; nous n’avons pas trouvé le secret de la vie éternelle non plus d’ailleurs… Nous n’en avons pas la prétention.
Nous souhaitons poser ouvertement les questions liées à l’acte de création et nous espérons rencontrer d’autres actrices et d’autres acteurs qui chercheraient comme nous une alternative afin de reconnaître :
– que le travail associatif, c’est du travail,
– que le travail d’une autrice ou d’un auteur, c’est du travail,
– que le travail d’une illustratrice ou d’un illustrateur, c’est du travail … comme celui de toutes celles et de tous ceux qui sont reconnu.es comme des travailleurs et des travailleuses de la chaîne du livre et qui ont le droit de cotiser et qui, par là, accèdent aux droits et à la protection des travailleurs et travailleuses pour leurs semblables,
– que le travail artistique, en somme, c’est du travail,
– que le travail devrait être organisé par les travailleuses et par les travailleurs pour que les modalités de réalisation de leurs missions soient respectueuses de leur mode de vie et de leur façon d’exercer leur métier,
– que l’impression et la diffusion d’une œuvre puisent dans les ressources de la planète et que ces ressources sont limitées ; qu’il en va donc de la responsabilité des maisons d’édition comme des consommateurs et consommatrices d’art, id est le lectorat, d’organiser ensemble la production et d’en comprendre les enjeux et les mécanismes. Pour nous, c’est d’abord éviter le pilon ; faire moins, moins vite et prendre le temps de soutenir le projet d’un auteur ou d’une autrice sur le temps long.
Nous pensons sincèrement que le lectorat peut attendre qu’un livre soit prêt.
Nous savons aussi que certains ouvrages ont mis du temps avant de rencontrer leur public.
Nous pensons également que l’accès aux livres devrait être repensé pour permettre la variété et l’équilibre, qu’il faut essayer de mettre en œuvre des alternatives au modèle dominant.
Nous souhaitons apporter notre contribution aux réflexions sur les valeurs d’une édition durable ; quand elle verra le jour, elle sera le fruit de nos tentatives, plurielles et imparfaites,
et elle respectera les individus,
et elle respectera l’environnement.
Festina lente1, l’équipe de Timelapse.
- Cette formule est expliquée par Aulu-Gelle dans les Nuits attiques ; dans le passage suivant, ce dernier explique ce que signifie l’adverbe « mature ». Bien entendu, ce n’est pas la vision d’Auguste sur l’art de la guerre qui nous intéresse dans cette référence à ce proverbe grec, mais bien ce que signifie cette manière d’agir, cette mesure dans le mot et dans l’action que nous souhaiterions réussir à appliquer à nos pratiques professionnelles. Voici un extrait qui nous éclaire sur ce que peut être la « maturitas ».
Nam et dicere in sermonibus et scribere in epistulis solitum esse aiunt σπεῦδε βραδέως, per quod monebat ut ad rem agendam simul adhiberetur et industriae celeritas et diligentiae tarditas, ex quibus duobus contrariis fit « maturitas .
« Car il (Auguste) avait l’habitude, à ce qu’on rapporte, de dire dans les conversations et d’écrire dans les lettres σπεῦδε βραδέως (hâte-toi lentement), par quoi il avertissait que l’on employât simultanément, pour mener une entreprise, et la rapidité du zèle et la lenteur de l’attention, deux contraires dont se fait la maturitas« . ↩︎